Souconna
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Jules Chevrier, un personnage hors du commun

Jules Chevrier




Jules Chevrier, un personnage hors du commun




















C’est Pierre Chenu résidant avenue de Paris, qui me parla le premier en 1984 de Jules Chevrier. Il insista sur le rôle qu’il tint comme artiste peintre, graveur et mécène. Ce dernier présidant aux destinées de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Chalon, s’activa au sein même du musée lapidaire dont il fut le digne représentant directeur. Ce chalonnais, me disait Pierre Chenu, allait dans ses réalisations étonner nombre de ses confrères, qui purent rapidement voir à travers cet homme, un personnage hors du commun. Infatigable travailleur, il s’est imposé comme érudit, historien et archéologue, portant un intérêt à tout ce qu’il entreprenait, jusqu’à fabriquer ses propres presses pour extraire ses eaux fortes si renommées. Au fil du temps, celles-ci se sont affichées chez moi, où très respectueux, je reste contemplatif parfois devant une de ses œuvres. Jules Chevrier figure lui aussi en bonne posture au milieu de mes modestes collections de silex, de jetons ou pièces, de livres, dont il semble se réjouir. J’ai appris à le connaître un peu, au travers de ses voyages avec son carnet d’Italie : de Vérone à Tarente, avec ses notices diverses et son recueil des objets lapidaires. J’ai tenté de le reconnaître à travers quelques-uns de ses descendants, l’imaginant de temps à autre dans l’orangeraie de sa résidence secondaire. Il m’accompagne partout dans mes petites pérégrinations archéologiques de Germolles à Rully, de St Jean-des-Vignes à Gergy, sur les bords de la Saône ou à Varennes-le-Grand. Je le vois s’émerveiller dans le grenier du château de St Loup, saisissant les objets de Nicéphore Niepce et lire plus tard les brèves correspondances de son frère Claude. Jules Chevrier comme chacun le sait, employa habilement le crayon, le pinceau, le ciseau à gravure mais n’ignora point le domaine de la sculpture. Ses deux voyages en Italie en 1869 et 1874, lui permirent d'étudier le statuaire romain. Du dernier périple des provinces italiennes, il ramena une Vénus marine. Sans doute déjà voyait-il en elle la divinité des eaux de la Saône ! Ce pressentiment se révélera 36 ans après sa notice parue en 1876, où au cours de travaux, le monument épigraphique dédié à Souconna sera découvert à Chalon en 1912. A cette notice issue d’une bibliothèque particulière d’un quartier de Lyon, je pus en feuilleter une autre rare et restée inédite de son beau frère Jules Brintet : elle portait sur les faits d’un magistrat suprême d’un des peuples de l’ancienne Gaule : Dubnorix, chef éduen, avec en additif un feuillet sur la déesse gauloise, Béléna. Les publications dans la vie de Jules Chevrier n’apparaissent pas très nombreuses. Outre ses incessantes occupations, il ne vouait pas semble-t-il une réelle affection pour l’écriture, où dans une correspondance son père Claude s’inquiète de n’avoir point de « Plume ». Son beau-père François Clavière, tisseur de son métier, nous informe quant à lui, sur une journée mémorable du 23 septembre 1831 liée à la révolte des Canuts lyonnais. L’intérêt, la curiosité et les actions de Jules Chevrier s’emploieront à une participation journalière très programmée, où après l’ordre professionnel et familial, les justifications de ses passions lui imposèrent des horaires très chargés, mais ô combien bénéfiques pour l’histoire et l’archéologie chalonnaises. Après avoir œuvré dans bien des domaines, ses activités scellèrent auprès de ses collègues historiens Niepce, Canat, Batault, Chabas, Fouque, Landa (pour ne citer que ceux-ci) une affection toute particulière laissant au cours de leurs périples en banlieue chalonnaise, des ballades humoristiques fort plaisantes. Il est donc certain, que cet homme légendaire fut un sage qui sut, en temps utile, profiter de la vie et de la nature. C’est avec bonheur, qu’il prit le temps de s’investir à des missions particulières pour offrir aux chalonnais outre le musée que l’on connaît aujourd’hui, également le monument de Nicéphore Niepce et enfin son célèbre livre de « Chalon pittoresque et démoli ». Il contribua aussi à relever les objets archéologiques spécifiques à la Saône dont il fut le premier inventeur, favorisant les futures premières recherches aquatiques chalonnaises. C’est 102 ans après sa disparition en 1985, que lui fut rendu un vibrant hommage. Avec une exposition dans la commune de Farges, une plaque fut installée honorant de son nom la place centrale du bourg. Jules Chevrier repose au milieu du cimetière de ce village. Enfin l’année suivante en 1986, les Amis du Musée Denon organisèrent un vernissage au sein même du musée. Une salle à cet effet aujourd’hui porte le nom Jules Chevrier.




Jules Chevrier artiste accompli



Jules Chevrier naît le 9 février 1816 dans la ville natale de Nicéphore Nièpce et meurt le 15 0ctobre 1883 dans sa résidence de Farges-lès-Chalon. Il suit la voie de son père comme négociant entre Lyon, Chalon-sur-Saône et Paris. Il participe et dirigera plus tard les destinées du Musée de Chalon. Il œuvrera à la restauration de l'image de Nicéphore Niepce. Artiste peintre, il évolue très simplement auprès de Descouture et concourt à quelques salons.
Ce n'est que plus tard, qu'il saisit l'occasion de s'initier à la gravure. Beaucoup de peintres français se sont intéressés à la gravure et à en apprendre la pratique. Jules Chevrier fait partie de ces artistes. Il va trouver manifestement dans l'eau forte un moyen de s'exprimer, plus libre que la peinture, plus affranchi que le dessin, assurant à leurs accomplissements, l'immortalité. Nombre de peintres réfutent les techniques complexes qui se réfèrent aux métiers manuels. Exceptionnellement, Jules Chevrier sort du rang, car habile de ses mains, il confectionnera lui même ses différentes presses. Son œuvre gravée ne se limite pas à un essai. Ce peintre actif, partagé entre l'histoire et l'archéologie est attiré pour le reste de sa vie par une technique difficile, délicate et précise, que représente le métier d'aquafortiste. Sa production impose à ses confrères et disciples, un certain respect qui dépassera les frontières régionales. Ce goût est lié à un intérêt propre, où à cela s'ajoutent les nombreuses actions scientifiques de son époque. Participant à l'élite de personnages savants et érudits, il alla également se confronter aux peintres et graveurs de son temps, pour atteindre le perfectionnement de la taille douce. Son attitisme, lui donnera les possibilités d'atteindre tous les sujets, où les personnages prendront une place importante. Pour mieux réussir, il put contempler et étudier certaines techniques, sous l'influence d'un maître en la matière, Auguste Delâtre. Il fit sa rencontre lors d'un salon en 1862 -année de naissance de la Société des Aquafortistes-, et ce dernier imprima plus tard le travail de l'artiste chalonnais, en 1865 -Bacchante ivre- et 1867 -Livres juchés-, deux épreuves que Jules Chevrier lègue aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts du Canada. C'est à partir de 1862, qu'Auguste Delâtre enseigna l'art de la pointe sèche à son élève. Excellent technicien, Delâtre procède également aux diverses emplois d'impressions dont il partage la production avec son frère Charles. Jules Chevrier en bon élève, fera de même et entreprendra ses premières épreuves imprimées après les évènements de 1870. Ses ateliers installés probablement à Farges, livrèrent ses premières vignettes et donnèrent à la postérité son image, le représentant sous des traits sérieux et dignes, coiffé de son bonnet légendaire. Légendaires aussi et amoureux des livres mais complices d'une curiosité étonnante, des rats philophages viendront symboliser son œuvre où ils sont représentés sur diverses épreuves. Les représentations faites sur le territoire Chalonnais orneront son principal ouvrage « Chalon, pittoresque et démoli ». Bien d'autres gravures inédites, sont aux mains de particuliers et collectionneurs, et malheureusement ne figurent pas encore toutes au fond référencé et déposé à la Bibliothèque de Chalon-sur-Saône.



Une fascination débordante pour la gravure



L'étude de son travail étalée sur une vingtaine d'années (1862-1883) met en valeur plusieurs points révélant des périodes différentes.
Les événements de 1870 freinant les négoces en région parisienne, Jules Chevrier rejoint Lyon, capitale des soies et tissus, puis Chalon en 1874. Il refusera la proposition d'un nouveau procédé moderne du tissage de la soie et de la laine la même année. C'est l'occasion pour Jules Chevrier de s'adonner un peu plus à ses passions et activités chalonnaises. L'œuvre de Chevrier se diviserait en trois parties. La première semblerait évoluer jusqu'en 1862, sur des sujets divers pris au cours de la vie journalière, dont les très nombreux dessins au crayon doux, souvent rehaussés ou lavisés, garnissent ses carnets dans son hôtel sis place de Beaune et au Château de Farges. Ventilés aujourd'hui ici et là, ils restent la propriété des connaisseurs aquafortistes. La deuxième période dès I874,
s'oriente nettement vers la gravure constituant un carnet local bien élaboré, où ressortent les « tirés » spécifiques à Chalon, pittoresque et démoli. S'ajoutent également des croquis particuliers liés à diverses images prises au cours de ses voyages. La peinture sans être absente, laisse place aux toutes premières gravures à peine relevées. Elles s'exhibent comme des « eaux-fortes de peintre » et datent de 1856 - Retour de chasse - et 1858 - La malle aux jouets -. Les exercices renouvelés jusqu'en 1870, s'ils existent, ne nous sont pas parvenus, formant une sorte de hiatus dans la carrière de l'artiste. Les épreuves nouvelles et très appliquées sembleraient trouver leur épanouissement dès 1874 après son dernier voyage en Italie, et son installation à Chalon. Le travail de l'aquafortiste est sûr, avec des réserves très nuancées, les approches très nettes et douces où la sensibilité reste palpable. On découvre des œuvres denses animées de personnages, d'animaux où les paysages figés restituent bien la couronne chalonnaise. Certains de ses travaux semblent confirmer une technique plus élaborée, plus franche mêlant dans une science consacrée, l'eau forte et le burin. La pointe est très libre, vivante et spirituelle 1875 - Les soeurs de Ste Marthe -. Les ombres et lumières se diffusent dans un esprit proche de l'inspiration naturelle des caravagistes, 1876 -Sapientias-,-Ex-Libris-, -L'enfant et les livres-. A l'instar des œuvres de Vivant-Denon, cette fascination apportée à ses gravures donne toute l'ampleur de l'histoire chalonnaise. Elles prouvent une incessante amélioration dans le style et la préoccupation du rendu, où la représentation des images précise, claire et animée reste assez éloquente, comme la réplique de la Porte Principale de Chalon (1600). On reste persuadé qu'il aurait été saisi par le geste premier de tous les genres picturaux, de l'artiste ayant réussi à graver sur un galet le cheval de la Colombière (grotte sise dans l'Ain). En extase devant l'objet, l'archéologue qu'il fut, aurait salué sans aucun doute, le savant mérite d'un graveur expérimenté, où la précision n'a d'égal que le génie de la perfection. Jules Chevrier totalise à notre connaissance plus de 217 représentations tant en peintures, dessins rehaussés, et gravures.


Jean Noël Blanchot





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